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REAGIR FACE AU REVIREMENT DU 13 SEPTEMBRE 2023 : PISTES DE REFLEXION

La série d’arrêts rendus le 13 septembre 2023 par la chambre sociale de la Cour de cassation a conduit à un changement majeur dans le paysage juridique actuel en matière de congés payés.

Ainsi, à présent, un salarié en arrêt de travail doit acquérir des congés payés, et ce sans limitation de durée.

Lire à ce titre notre décryptage de ces arrêts

Que peut faire un employeur pour limiter le risque afférent à cette nouvelle règle ?

Pistes de réflexion.

LA LIMITATION DU DROIT A L’ACQUISITION DE CONGES PAYES

La Cour de cassation admet désormais une acquisition des congés payés durant un arrêt maladie sans limitation de durée.

Or, cette position n’est pas celle de la CJUE.

Rappelons que l’article 7 de la Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 dispose que « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ».

Interprétant cet article, la CUJE a jugé que « L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une disposition nationale prévoyant, selon l’origine de l’absence du travailleur en congé de maladie, une durée de congé payé annuel supérieure ou égale à la période minimale de quatre semaines garantie par cette directive. » (CJUE, 24 janvier 2012, aff. n°C282-10 Dominguez).

La CJUE n’imposait donc aucunement une acquisition de congés payés durant l’intégralité de l’arrêt de travail mais imposait aux législations internes de garantir une durée minimale annuelle de congés payés de 4 semaines.

La Cour de cassation a toutefois jugé que limiter le droit à l’acquisition des congés payés constituerait une discrimination en raison de l’état de santé.

La position peut apparaitre contestable dès lors que la discrimination ne saurait être invoquée que face à une identité de situation ce qui n’est aucunement le cas d’un salarié en arrêt de travail et un salarié exerçant son activité professionnelle.

En outre, adopter une telle position pourrait conduire à un risque de dérives important et, notamment, conduire à traiter la période d’arrêt maladie de manière identique à une situation de travail « effectif ». Il en irait ainsi par exemple de l’absence de maintien de salaire pendant l’arrêt maladie ou de l’absence de prise en compte de cette période dans la détermination de l’ancienneté.

Comment dès lors concilier la position de la CJUE et celle de la Cour de cassation ?

Il nous apparaît que l’acquisition de congés payés durant l’arrêt maladie ne constitue pas un principe d’ordre public mais l’application de principes européens.

De ce fait, une disposition conventionnelle pourrait aménager ce droit dans le respect des principes européens.

A ce titre, un accord collectif devrait donc pouvoir prévoir une limitation des droits acquis à congés payés, pendant une période d’arrêt maladie, à hauteur de 4 semaines.

C’est d’ailleurs en ce sens que la Cour d’Appel de Paris a récemment jugé que :

« En l’espèce, en l’absence d’un accord d’entreprise, d’un règlement intérieur ou de dispositions de la convention collective applicable permettant d’atteindre la finalité poursuivie par la directive, permettant d’interpréter la réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, qui dispose que « Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés », il convient de laisser la réglementation nationale inappliquée. Il sera, donc, fait droit à la demande de rappel d’indemnité de congés payés formée par l’intimée et le jugement qui l’avait déboutée de sa demande sera infirmé de ce chef. » (Cour d’Appel de Paris, 12 octobre 2023, n°20/03063)

L’option n’est toutefois pas sans risque dès lors que la Cour de cassation pourrait également juger cette disposition comme constitutive d’une discrimination en raison de l’état de santé et l’écarter compte tenu de notre droit interne qui prévoit un nombre de congés payés supérieur au droit européen.

Toutefois, l’objet d’une telle disposition ne serait plus de priver d’un droit à congés payés le salarié en arrêt de travail mais de limiter ce droit, option qui prend ainsi simplement en compte la différence de situation entre le salarié en arrêt de travail et le salarié exécutant son activité professionnelle de manière effective.

Il pourrait cependant être répliqué qu’un salarié en accident du travail bénéficiait d’un droit à l’acquisition de congés payés durant une année, soit 5 semaines de congés payés.

Notre droit interne permettait donc, dans cette situation, de respecter la garantie de 4 semaines de congés payés, comme l’impose la directive européenne.

Pour autant, la Cour de cassation a jugé cette disposition contraire à la Directive et a rejeté toute limitation dans le temps de l’acquisition de congés payés.

Ainsi, la limitation au droit à congés payés ne devrait pas être fondée sur une durée d’acquisition (par exemple un an) mais sur un nombre de droit acquis à congés payés (4 semaines), comme la Directive le prévoit.

LA LIMITATION DU DROIT A REPORT

La Cour de cassation a, de longue date, consacré, sous l’impulsion de la jurisprudence de la CJUE, le droit au report des congés payés n’ayant pu être pris avant la clôture de l’exercice en raison d’une absence pour maladie (Cass. soc. 24 février 2009, n°07-44.488).

Cette période de report n’est toutefois pas illimitée selon la CJUE.

Ainsi, la CJUE a pu juger que la période de report « doit dépasser substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée » mais qu’elle ne doit pas nécessairement être illimitée.

Plus spécifiquement, elle juge que « le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives ne saurait répondre aux deux volets de sa finalité, énoncés au point 31 du présent arrêt, que dans la mesure où le report ne dépasse pas une certaine limite temporelle. En effet, au-delà d’une telle limite, le congé annuel est dépourvu de son effet positif pour le travailleur en sa qualité de temps de repos, ne gardant que sa qualité de période de détente et de loisirs. »

A ce titre, a été jugée conforme une période de report du droit au congé annuel payé fixée à 15 mois par les dispositions ou pratiques nationales (CJUE, 22 novembre 2011, aff. n°C-214/10 jugé à propos d’une législation allemande)

En revanche, une période de report de 9 mois a été jugée contraire à la directive (CJUE, 3 mai 2012, aff. n°C-337/10 jugé à propos d’une législation allemande)

Sur cette base, la Cour de cassation a déjà admis que « des dispositions ou pratiques nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel payé d’un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives au moyen d’une période de report à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint, dès lors que cette période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence » (Cass. soc. 21 septembre 2017, n°16-24.022)

Cette période de report doit toutefois être fixée par les dispositions légales ou conventionnelles sans que le juge ne puisse la fixer lui-même.

Enfin, cette période de report ne pourra être opposée au salarié que si le salarié est mis en mesure par l’employeur de prendre ses congés payés (CJUE, 22 septembre 2022, aff. n°C-120/21).

Encore récemment, ces principes ont été rappelés par la CJUE (CJUE, 9 novembre 2023, aff. n° C-271-22)

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