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Un contentieux sur un forfait jours

Forfait jours : réduire les condamnations quand la nullité semble inévitable

Longtemps apparu comme simplifiant les relations de travail en supprimant la nécessité de contrôler les horaires de travail du salarié, le forfait annuel en jours est en réalité un aménagement du temps de travail nécessitant une rigueur et un suivi importants sous peine d’inopposabilité du dispositif au salarié, voire qu’il soit déclaré nul.

Le nombre de contentieux au titre de la validité des conventions de forfait en jours a en effet, depuis l’arrêt du 29 juin 2011 de la Cour de cassation statuant sur la validité du forfait en jours dans la branche professionnelle de la Métallurgie, augmenté de manière drastique imposant une vigilance accrue au titre de ce type d’aménagement du temps de travail.

Les salariés, soumis à une convention individuelle de forfait en jours, peuvent ainsi contester la validité de cet aménagement du temps de travail sur la base :

  • de l’absence ou de l’insuffisance des dispositions conventionnelles notamment destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés,
  • du non-respect desdites dispositions conventionnelles.

En cas de contentieux, si l’objectif premier de l’employeur est de faire reconnaître la validité du forfait annuel en jours, il sera, dans certaines hypothèses, et notamment lorsque la nullité du dispositif de forfait annuel en jours prévu par une convention de branche est reconnue par la Cour de cassation, indispensable de combattre sur un autre front, à savoir le montant des condamnations.

Trois axes de réflexions peuvent être envisagés dans ce cadre.

Le volume d’heures supplémentaires

Lorsque le forfait annuel en jours est nul ou inopposable au salarié, ce dernier est considéré comme ayant été soumis à la durée légale de travail fixée à 35 heures hebdomadaires.

La remise en cause de la validité du forfait annuel en jours n’a dès lors, et classiquement, d’autre objet que de solliciter le paiement d’heures supplémentaires réalisées au-delà de 35 heures par semaine.

La condamnation d’un employeur au paiement d’heures supplémentaires dans cette hypothèse n’a toutefois, bien évidemment, rien d’automatique.

Encore faut-il que le salarié ait effectivement accompli des heures supplémentaires.

Pour rappel, en matière d’heures supplémentaires, l’article L. 3171-4 du Code du travail prévoit un partage de la charge de la preuve : l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et le juge forme ensuite sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande.

Précédemment, il était exigé du salarié qu’il fournisse « préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande »[1].

La Cour de cassation est toutefois récemment revenue sur cette jurisprudence et exige à présent qu’il « appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments »[2].

Cela ne signifie pour autant pas que la charge de la preuve repose uniquement sur le salarié, comme l’a rappelé la Cour de cassation.

Ainsi, une juridiction ne peut débouter le salarié de sa demande d’heures supplémentaires en estimant qu’il n’apporte pas d’éléments suffisamment précis en indiquant uniquement qu’il produit des tableaux word dans lesquels il a récapitulé ses heures supplémentaires non vérifiables sans verser d’autres éléments les corroborant[3].

La Cour de cassation a d’ailleurs confirmé cette interprétation, dans sa note explicative de l’arrêt du 18 mars 2020, en indiquant que « les juges du fond doivent apprécier les éléments produits par le salarié à l’appui de sa demande au regard de ceux produits par l’employeur et ce afin que les juges, dès lors que le salarié a produit des éléments factuels revêtant un minimum de précision, se livrent à une pesée des éléments de preuve produits par l’une et l’autre des parties, ce qui est en définitive la finalité du régime de preuve partagée ».

L’employeur devra donc toujours être en mesure de produire des éléments permettant de justifier le non-accomplissement d’heures supplémentaires, tels que des attestations de salariés et de clients.[4]

L’enjeu pour faire baisser les condamnations au titre des heures supplémentaires est donc d’apporter au juge des éléments pour démontrer que les heures supplémentaires demandées n’ont pas été réellement effectuées.

Le remboursement des Jours de Repos octroyés au salarié dans le cadre du forfait annuel en jours

Le salarié soumis à un forfait annuel en jours bénéficie de l’octroi de jours de repos lui permettant de respecter le nombre maximum de jours travaillés par an fixé par la convention de forfait annuel en jours et ne pouvant excéder, par principe, 218 jours. Qu’en est-il toutefois quand le forfait annuel en jours est remis en cause ?

Par un arrêt du 6 janvier 2021, la Cour de cassation a jugé que, dès lors que la convention de forfait annuel en jours avait été jugée comme étant privée d’effet, « pour la durée de la période de suspension de la convention individuelle de forfait en jours, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention était devenu indu ».

Ainsi, puisque le forfait en jours est considéré comme « privé d’effet », le salarié doit être considéré comme ayant été soumis à la durée légale du travail, soit à une durée hebdomadaire de 35 heures.

Cela induit également que les droits résultant de l’application du forfait annuel en jours ne peuvent plus être revendiqués par le salarié.

L’un de ces droits consiste en l’octroi de jours de repos permettant au salarié d’accomplir, le nombre de jours travaillés prévu par la convention de forfait annuel en jours (sauf renonciation à des jours de repos).

La Cour de cassation se prononce ainsi sur le fondement de l’article 1376 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et qui disposait que « celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu ».

Ces dispositions ont été reprises, dans le cadre de l’ordonnance précitée, à l’identique à l’article 1302-1 du Code civil, de sorte que le fondement légal de cette demande de remboursement demeure en vigueur.

La position de la Cour de cassation n’est pas nouvelle.

Elle s’était en effet déjà prononcée en ce sens, non pas dans une hypothèse de forfait annuel en jours, mais au titre de la nullité d’un forfait annuel en heures.

Les salariés avaient ainsi été soumis au dispositif dit de modalité 2 issue de la Convention Collective SYNTEC prévoyant une durée hebdomadaire de 38h30 et un nombre de jours travaillés par an de 220.

Dans ce cadre, les salariés avaient donc bénéficié de jours de repos pour ne pas dépasser le nombre de jours maximum du forfait.

La Cour de cassation, compte tenu de l’inéligibilité des salariés à ce forfait (en raison du montant de leur rémunération), a jugé qu’ils devaient être considérés comme relevant de la durée légale du travail et, par suite, devaient rembourser les droits dont ils avaient bénéficié dans le cadre de ce forfait[5].

Les incidences de cette position ne sont pas anodines.

En effet, pour un salarié bénéficiant de 10 jours de repos au cours d’une année civile par exemple, cela induit le remboursement de l’équivalent de 70 heures de travail.

En d’autres termes, cela permettra de compenser la charge résultant du paiement de 56 heures supplémentaires (70 heures / 1,25), soit une moyenne de 4,66 heures par mois.

La remise en cause du montant de la rémunération servant de base au calcul des rappels de salaire pour heures supplémentaires

Conformément à l’article L. 3121-61 du Code du travail, le salarié doit bénéficier, dans le cadre du forfait annuel en jours, d’une rémunération fixée en considération des sujétions qui lui sont imposées dans ce cadre.

Or, dès lors que le salarié obtient la nullité de sa convention de forfait annuel en jours et est considéré comme ayant été soumis à la durée légale du travail, soit 35 heures hebdomadaires.

En d’autres termes, il n’est rétroactivement plus soumis aux sujétions ayant justifié le niveau de sa rémunération.

Le Conseil de Prud’hommes de Paris a, dans un jugement du 31 mai 2017, retenu cette position en jugeant que « les parties, lorsqu’elles ont convenu de la rémunération de la demanderesse, ont tenu compte, dans le montant fixé, du fait qu’aucune rémunération complémentaire ne serait versée au titre d’heures supplémentaire ; en conséquence, que la rémunération forfaitaire convenue était supérieure à celle qui aurait été retenue en l’absence d’une telle clause ; que les seuls calculs effectués à ce titre et produits aux débats démontrent que le montant total des sommes demandées au titre des heures supplémentaires effectuées ajouté à la rémunération minimale prévue par la convention collective est inférieure à celle qui avait été convenue par les parties ; en conséquence, qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande au titre des heures supplémentaires »[6].

            Une autre argumentation consisterait à invoquer la clause relative à la rémunération.

La Cour d’Appel de Lyon a ainsi jugé que « la nullité de la convention de forfait qui permet au salarié de revendiquer, le cas échéant, le paiement d’heures supplémentaires n’emporte pas nullité de la clause de rémunération forfaitaire, cette rémunération étant calculée sur un nombre de jours de travail et non un nombre d’heures et X… ayant fourni sa prestation de travail. »[7]

La Cour d’Appel n’a pas appliqué ce principe dès lors que la demande au titre des heures supplémentaires n’apparaissait pas justifiée.

Pourrait-on toutefois estimer que la rémunération forfaitaire peut être convenue entre les parties au titre de journées de travail et non au titre d’un volume d’heures précisé au contrat de travail ?

La Cour de cassation avait pu juger que « (…) si la seule fixation d’une rémunération forfaitaire, sans que soit déterminé le nombre d’heures supplémentaires inclus dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser la convention de forfait, la cour d’appel qui, en l’espèce, a, d’une part, relevé que le contrat de travail fixe une rémunération forfaitaire et fait référence à l’horaire de travail en vigueur dans l’entreprise dont la salariée confirmait avoir pris connaissance, et, d’autre part, constaté que la rémunération était au moins égale à la rémunération qu’elle aurait dû percevoir augmentée des heures supplémentaires, a, sans encourir les griefs du moyen, estimé que l’employeur rapportait la preuve d’une convention de forfait ; »[8]

Ainsi, un faisceau d’indices permettait, si une rémunération forfaitaire est prévue, de déterminer la durée hebdomadaire de travail du salarié et de vérifier si la rémunération était conforme à ce qu’il aurait perçue en ce compris les majorations pour heures supplémentaires.

Tel ne serait toutefois pas le cas par principe pour un salarié soumis à une convention de forfait annuel en jours pour lequel aucune référence horaire n’est fixée.

En outre, la Cour de cassation a récemment rappelé que l’absence de mention du nombre d’heures supplémentaires réalisées par semaine ne permettait pas de caractériser une convention de forfait[9].

Cette argumentation ne pourrait dès lors être réservée qu’à certaines hypothèses spécifiques.

En définitive, lorsque l’application du forfait annuel en jours aux salariés est contestée par ces derniers, notamment en raison de l’absence de validité du support juridique servant de base à sa mise en œuvre ou du fait de l’absence de suivi de cet aménagement, cela ne signifie pas nécessairement que des heures supplémentaires seront reconnues et devront être payées par l’employeur.

Un travail important doit ainsi être mené pour déterminer la durée du travail des salariés, le nombre de jours de repos dont il a bénéficié mais également les modalités de fixation de sa rémunération (et notamment la prise en compte des sujétions spécifiques résultant du forfait annuel en jours). 


Annexes

[1] Cass. soc. 25 février 2004, n°01-45441

[2] Cass. soc. 18 mars 2020, n°18-10919

[3] Cass. soc. 8 juillet 2020, n°18-26385

[4] Cass. soc. 18 juillet 2001 n° 99-42992

[5] Cass. soc. 13 mars 2019, n°18-12.926 18-12.931 18-12.952 18-13.020 18-13.040 18-13.056 18-13.070 18-13.097 18-13.166 18-13.188 18-13.190 18-13.191 18-13.195

[6] Jugement du Conseil de Prud’hommes de Paris, 31 mai 2019, n°15/12709

[7] Cour d’Appel de Lyon, 12 novembre 2020, n° 18/09050

[8] Cass. soc. 5 mai 2004 n° 01-43918

[9] Cass. soc. 9 mai 2019 n° 17-27.448

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